Intelligence émotionnelle et entrainement de l’esprit

extrait d’un passage d’Alexandre Jollien
tiré du livre « A nous la liberté » co-écrit avec Mathieu Riccard et Christophe André

Trois amis en quête de sagesse…

Un des grands chantiers de l’entrainement de l’esprit consiste à contempler, à observer les forces en présence et à repérer notre mode par défaut.
A ce titre, Pascal inviterait-il à s’attaquer au mal à la racine, à faire un retour sur soi? En tout cas, il est un maître qui nous guide au-delà des sirènes et des attentes, au-delà des rôles et des vaines ambitions. Son diagnostic est limpide et libérateur:« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. » J’y trouve un exercice, un outil et peut-être le premier pas de l’entrainement de l’esprit. Qu’est-ce qui peut bien me tomber dessus lorsque je reste seul dans ma chambre ?

J’appelle « point mort » l’état habituel de mon âme, ce que je ressens intérieurement lorsque je ne suis plus happé par les tâches, quand les distractions, les occupations ont cessé, dès que je me retrouve seul, sans activité, sans livre ni télévision, sans possibilité de m’évader. Est-ce l’angoisse, la peur, un mortel ennui, une paix, la confiance ? Repérer son « point mort » est une avancée considérable. Comment ne pas instrumentaliser les autres, accuser le monde, se fuir sans cesse, si au fond de nous, constamment, nous expérimentons le manque, les tiraillements, un mal-être existentiel ?

En médecine, on distingue l’allostasie et l’homéostasie. Est homéostasique celui qui trouve son équilibre intérieur en lui, pourrait-on dire. L’allostasique a en revanche besoin d’une substance, d’un autre, du divertissement pour tenir le coup. Identifier son mode par défaut, le climat intérieur dans lequel je baigne habituellement, découvrir sans juger si je penche plutôt du côté de l’allostasie est déjà une source de joie. L’entrainement de l’esprit tient du jeu, non de la corvée. Découvrir qu’un parfum de rose totalement inoffensif suffit pour que s’invite en mon âme une tristesse carabinée, c’est assurément adopter une attitude contemplative.

D’ailleurs, un pas décisif consiste à comprendre que notre cerveau a pour coutume d’être distrait, non de méditer. A la base, la sérénité, ce n’est pas son truc. Il est programmé pour juger, condamner, comparer, se faire du mouron, fuir dans le passé, anticiper, bref, délirer et battre la campagne. Singulière pratique prônée par Mingyour Rinpotché que de dix fois dans la journée faire halte et observer: « Ah tiens, je « non-médite » à fond. », « J’ai été complètement distrait ». S’apercevoir que l0on est distrait est en soi un puissant exercice de vigilance. Et voilà que déjà la liberté s’inaugure ! Jour et nuit, les rouages de notre esprit nous inclinent à monter tout en épingle. Tranquillement, le plus paisiblement du monde,. je peux regarder ce grand fatras d’émotions et de jugements à l’emporte-pièce, presque en rigolant: « Ah, tiens, c’est ça ma conception de la vie », « La voilà cette petite idée farfelue qui m’a pourri toute la journée ». Entrainer notre esprit, c’est oser, sans narcissisme aucun, examiner notre cerveau, ce grand interprète aux pouvoirs infinis.

La méditation offre une voie royale qui permet de passer le flot d’idées et de passions sous un regard lucide, bienveillant et de pourfendre, une à une, les illusions. Sans absolutiser aucune pratique, il faut aussi rappeler que quand on est enfoncé jusqu’au cou dans les passions tristes, il arrive que la méditation ne soit pas toujours à notre portée. Nous avons aussi besoin de mains qui se tendent, d’aide.

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